Au Royaume-Uni et dans l'Union Européenne, les représentations fournies lors du dépôt d'un dessin ou modèle enregistré définissent l’étendue de sa protection. Contrairement aux brevets, il n'existe pas, pour les dessins ou modèles enregistrés, de notion de contrefaçon « partielle » ou « contributive » lorsqu'une partie essentielle mais incomplète du dessin ou modèle est reproduite par un tiers. Si la partie reproduite par le tiers ne produit pas la même impression générale que le propre dessin ou modèle enregistré, par exemple parce qu'il s'agit d'une partie relativement petite du produit global, il sera impossible de faire valoir le dessin ou modèle enregistré.
Toutefois, les lois britanniques et européennes correspondantes précisent qu'un dessin ou modèle peut, en fait, être revendiqué dans l'apparence de l'ensemble ou d'une partie d'un produit. Dès lors, les designers ont donc le choix de renoncer délibérément à des caractéristiques du produit auxquelles s’applique le dessin ou modèle et pour lesquelles ils ne souhaitent pas demander de protection. Dans de nombreux secteurs industriels, comme celui de l’automobile, il est ainsi devenu courant que les entreprises demandent la protection d'éléments de leurs produits pouvant être retirés et remplacés, afin de se protéger contre les modifications réalisées après la commercialisation. Par exemple, elles peuvent déposer des enregistrements visant des ensembles de phares, des capots, des spoilers ou autres pièces, sans revendiquer l’intégralité du véhicule dont ces éléments font partie.
Outre la protection enregistrée, le Royaume-Uni et l'Union européenne accordent aussi une protection du dessin ou modèle sans enregistrement préalable, respectivement sous la forme de dessins ou modèles supplémentaires non enregistrés et de dessins ou modèles communautaires non enregistrés. Ces dessins ou modèles non enregistrés bénéficient d'une protection automatique à partir du jour où le dessin ou modèle est mis à la disposition du public pour la première fois. Cependant, si le dessin ou modèle publié est un produit complexe, jusqu'à présent la question de savoir si la protection fournie couvre uniquement le produit dans son ensemble, ou si une protection non enregistrée peut subsister pour les parties dépendant du produit global, n’était pas claire. Dans le cadre de la saisine C‑123/20 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), le constructeur italien de voitures de sport Ferrari a souhaité que cette situation soit clarifiée.
L’affaire
Ferrari a présenté sa toute nouvelle voiture de course sur piste FXX K pour la première fois au public dans un communiqué de presse daté du 2 décembre 2014. L’élément essentiel du design de la FXX K est l'apparence de la partie frontale, dotée d’un capot en forme de V profond et d’un pare-chocs en forme de spoiler inspiré de la Formule 1.
Malheureusement pour les propriétaires de Ferrari, la FXX K étant une voiture de course, elle ne peut être conduite sur la voie publique. Constatant l'existence d’un vide à combler sur le marché, Masonry Design, société allemande spécialisée dans la personnalisation de carrosserie pour les voitures haut de gamme, a fabriqué un kit de tuning permettant de modifier l'apparence de la Ferrari 488 GTB, homologuée pour la route, de manière à la rapprocher de celle de la FXX K.
Pour l'essentiel, il s'agissait d'un nouveau capot en forme de V et d'un pare-chocs de style F1. La Ferrari 488 GTB modifiée par Masonry Design a été présentée au Salon international de l'automobile de Genève, en mars 2016. Cette présentation ayant eu lieu dans les trois ans postérieurs à la première publication de la FXX K, Ferrari a poursuivi Masonry Design pour violation des droits conférés par un ou plusieurs dessins ou modèles communautaires non enregistrés dont elle est titulaire pour la FXX K.
Masonry Design’s modified Ferrari 488 GBT
L'affaire a d'abord été entendue par le tribunal régional de Düsseldorf, siégeant au titre de tribunal des dessins ou modèles communautaires. Ferrari a revendiqué que le dessin ou modèle communautaire non enregistré existait pour la forme en V du capot et le pare-chocs.
En première instance, le tribunal régional de Düsseldorf a statué que le « dessin ou modèle » découlant de la divulgation de la FXX K en 2014 correspondait à celui de la voiture dans son intégralité. Le capot et le spoiler n'ayant pas été publiés séparément de la FXX K, ils ne pouvaient être considérés comme un dessin ou modèle distinct. Pour faire valoir des droits sur une partie seulement de ce dessin ou modèle sans divulgation séparée, le tribunal a estimé que la partie en question devait avoir « une certaine autonomie et une certaine complétude quant à la forme », et que le capot et le spoiler de la FXX K ne satisfaisaient pas à cette exigence. En appel, le tribunal régional supérieur de Düsseldorf a confirmé le jugement et l'affaire a été portée devant la Cour fédérale de justice, la plus haute juridiction allemande.
La Cour fédérale de justice allemande a déterminé que l'issue de l'affaire dépendait de l'interprétation du Règlement sur les dessins ou modèles communautaires nº 6/2002 et a donc posé deux questions à la CJUE. En premier lieu, le tribunal allemand a demandé si, à la suite de la publication de l'image d'un produit dans son intégralité, on peut dire que les dessins ou modèles communautaires non enregistrés n'existent que sur certaines parties de ce produit, prises isolément. En second lieu, si tel est le cas, faut-il appliquer des critères supplémentaires auxquels doit satisfaire la partie en question pour que le dessin ou modèle soit valable ? En particulier, le tribunal allemand s'est demandé si le critère « d’une certaine autonomie et d’une certaine complétude quant à la forme » constituait l'application correcte de la loi.
En réponse à la saisine, la CJUE a estimé que le droit à un dessin ou modèle non enregistré peut effectivement subsister sur une partie d'un produit après la divulgation d'une image de l'ensemble, à condition que la partie en question soit clairement identifiable. En d'autres termes, le critère appliqué en Allemagne selon lequel le composant doit être publié séparément était erroné. En outre, la CJUE a constaté qu'il n'existe pas de critères distincts pour la sélection d'une partie d'un dessin ou modèle, même si la partie en question doit satisfaire à l’exigence de protection en tant que dessin ou modèle aux termes du règlement, à savoir qu'elle soit définie par des caractéristiques comme des lignes, des contours, des couleurs, des formes et une texture. L'affaire va maintenant revenir devant le tribunal allemand pour qu'il statue quant à sa conclusion.
Cette décision sera-t-elle appliquée au Royaume-Uni ?
La décision de la CJUE n'est pas compétente en matière de droit britannique et il n'est donc pas certain que les tribunaux britanniques appliquent ce jugement. Toutefois, le principe de la protection des dessins ou modèles non enregistrés applicable à une partie d'un dessin ou modèle existe depuis longtemps dans le droit britannique et, en réalité, il est même antérieur au Règlement sur les dessins ou modèles communautaires. Il existe notamment un corpus de décisions britanniques, comme celle de Sealed Air Limited contre Sharp Interpack Limited [2013] EWPCC 23, qui montrent clairement que le UK Design Right (droit britannique distinct de celui sur les dessins ou modèles supplémentaires non enregistrés, mentionné ci-dessus) peut s’appliquer à une partie d'un produit. En dehors du Royaume-Uni, les droits sur les dessins ou modèles non enregistrés n'existaient pas en Europe avant le Règlement sur les dessins ou modèles communautaires, et certains commentaires semblent indiquer que le fait de pouvoir sélectionner une partie d'un dessin ou modèle, plutôt que l'ensemble, a toujours été censé faire partie de la législation européenne. Par conséquent, de nombreux professionnels britanniques pourraient ne pas être surpris par la décision de la CJUE et il est très probable que ce principe soit suivi dans les futures affaires concernant des dessins ou modèles supplémentaires non enregistrés au Royaume-Uni.
Quel est l’impact sur les designers ?
En principe, la décision de la CJUE est une bonne nouvelle pour les designers et les innovateurs. Elle contribue notamment à résoudre la question de la contrefaçon « partielle » ou « contributive » d'un dessin ou modèle, ce qui permet aux designers de protéger plus facilement les aspects secondaires de leurs produits. Cela pourrait s'appliquer non seulement aux pièces remplaçables, comme dans le cas de Ferrari, mais aussi aux caractéristiques intégrales d'un produit, que l’on pourrait copier et incorporer dans un autre.
Toutefois, cette affaire met également en lumière les inconvénients majeurs de la protection de trois ans, de très courte durée, que confèrent les dessins et modèles non enregistrés. Le kit de Masonry Design n'a été lancé qu'en mars 2016 et le dessin ou modèle communautaire non enregistré de Ferrari portant sur la FXX K a expiré le 2 décembre 2017. Cela signifie que, bien que son affaire soit allée jusqu'à la CJUE, Ferrari ne peut réclamer que 18 mois de contrefaçon. En revanche, les dessins ou modèles enregistrés peuvent durer jusqu'à 25 ans. Si Ferrari n'a pas enregistré la protection du dessin ou modèle pour le capot et le spoiler de la FXX K, rien n'empêche Masonry Design de continuer à vendre les kits en question. Par conséquent, alors même que cette affaire semble être une victoire pour les designers, elle souligne l'importance d’associer différents types de protection, plutôt que de s'appuyer uniquement sur des droits non enregistrés.
Conclusion
Chez Marks & Clerk, nos experts en dessins et modèles ont l’habitude de conseiller nos clients sur la manière de tirer le meilleur parti de leurs enregistrements de dessins ou modèles et de leurs stratégies de dépôt. Si vous souhaitez en savoir davantage sur les stratégies de protection des dessins ou modèles, qu'ils soient enregistrés ou non, n'hésitez pas à nous contacter.