En raison de leur présentation plus inhabituelle, les marques non traditionnelles peuvent s’avérer plus complexes à enregistrer. La sonnerie classique de Nokia et la mélodie de la 20th Century Fox figurent parmi les plus reconnues. Or, les consommateurs ne sont pas forcément habitués à considérer les marques non traditionnelles comme des marques commerciales et leurs propriétaires ont donc eu du mal, par le passé, à enregistrer ces marques associées à des sons.
Le Tribunal de l’Union européenne a fourni de nouvelles orientations sur les marques sonores lors de la récente décision concernant l’affaire de la marque sonore déposée par Ardagh Metal Beverage Holdings GmbH & Co. KG auprès de l’EUIPO.
La société Ardagh a déposé une demande de marque sonore sous la forme d’un fichier audio et non d’une partition musicale ou de spectrogrammes traditionnels (c'est d’ailleurs la première fois qu'une demande de marque sonore est déposée sous ce format). La marque se caractérise par le son de l'ouverture d'une canette de boisson, suivi d'une seconde de silence, puis par le pétillement de bulles.
La marque sonore a été déposée pour des boissons alcoolisées et non alcoolisées, y compris du lait et des produits laitiers ; ainsi que des articles en métal et des conteneurs métalliques pour le transport.
L'EUIPO a initialement refusé la marque dans son intégralité, au motif qu'elle n'était pas distinctive. Ardagh a alors déposé un recours auprès de l'EUIPO, qui n'a pas abouti.
La requérante a ensuite formé un recours devant le Tribunal, qui a été de nouveau rejeté et la demande refusée au motif que le son n'est pas distinctif.
Le Tribunal a réaffirmé que les critères d'appréciation du caractère distinctif d'une marque sonore ne diffèrent pas des autres types de marques. La marque sonore doit avoir une certaine résonance qui permet aux consommateurs de l'identifier comme un signe d'origine et non comme un élément fonctionnel ou un indicateur, sans aucune caractéristique inhérente. Les consommateurs doivent être en mesure de percevoir la marque uniquement par le son et non par un autre signe, comme un mot ou un logo. Il faut pouvoir associer le son seul au demandeur.
Dans un premier temps, l'EUIPO a appliqué la jurisprudence antérieure (Mag Instrument contre OHIM C-136/02 P) et déclaré que seule une marque qui « s'écarte de manière significative de la norme ou des usages du secteur n'est pas dépourvue de caractère distinctif ». Toutefois, le Tribunal précise que cela s'applique aux marques 3D qui sont intrinsèquement liées à la forme des produits, d'où la nécessité de s'en écarter de manière significative. Les consommateurs sont habitués à voir des produits de différentes formes et il faudrait donc qu'ils constatent une modification significative de la forme pour comprendre que celle-ci est une indication concernant leur origine. Les autres signes (mots, dispositifs, sons) ne sont pas liés à la forme des produits et ne sont donc pas tenus de s'écarter des coutumes ou des normes du secteur. Par conséquent, l'EUIPO n'aurait pas dû appliquer la jurisprudence à cette affaire.
Par ailleurs, le Tribunal a également examiné le point selon lequel le public ne doit pas percevoir la marque demandée comme étant une fonction des produits demandés. En l'espèce, l'ouverture d'une canette et le pétillement d'une boisson gazeuse sont inhérents aux produits et constituent donc un élément purement technique et fonctionnel. Le public associe immédiatement le bruit de bulles pétillantes aux boissons et aux canettes de boissons gazeuses. Ardagh a tenté de faire valoir que le son dans son ensemble (avec la pause au milieu) rendait la marque plus inhabituelle et répondait ainsi aux exigences de caractère distinctif. L'entreprise a même déclaré que le son avait été spécialement enregistré à l'aide d'un équipement permettant de créer des variations uniques, c'est-à-dire des pauses de différentes longueurs et des sons pétillants. Cependant, le Tribunal a déclaré que cela ne suffisait pas à distinguer la marque sonore d'autres sons du même secteur.
L’EUIPO a soulevé un autre point intéressant concernant le fait qu'il est inhabituel, dans le secteur des boissons, que des sons indiquent l'origine car les produits sont silencieux jusqu'au moment de leur consommation. Mais il a estimé que c'était le cas de la plupart des produits et que les sons produits lors de la consommation ne signifiaient pas que l’utilisation de ceux-ci pour indiquer l'origine était inhabituelle. Compte tenu des conclusions ci-dessus sur l'absence de caractère distinctif, ce point n'a guère modifié l'affaire mais peut se révéler intéressant pour d'autres propriétaires de marques dans ce domaine s'ils s'interrogent sur la pertinence du dépôt d'une marque sonore.
Les exigences relatives aux marques sonores demeurent relativement peu testées et il se peut que les propriétaires de marques expérimentent davantage de marques sonores éventuelles, notamment dans le secteur de l'alimentation et des boissons. Un usage extensif de la marque peut contribuer à son enregistrement et cela pourrait constituer une stratégie pour faire enregistrer une marque sonore. Si les consommateurs sont à même de reconnaître une boisson gazeuse simplement à partir d'un son, cela pourrait lui permettre de franchir le pas. Il faudra sans doute que les niveaux d'utilisation soient très élevés pour y parvenir, mais ce n'est qu'en déposant la demande que nous saurons où se situe la limite.
Ardagh Metal Beverage Holdings GmbH & Co. KG contre EUIPO (T‑668/19).