En mars 2021, le tribunal de l'Union européenne a rendu son jugement sur un recours en appel déposé par Lego A/S, concernant son dessin ou modèle enregistré n° 1664368-0006 :
Lego a réussi à défendre son enregistrement et à infirmer une décision antérieure de la chambre de recours de l'EUIPO qui annulait le dessin ou modèle.
Cette affaire analyse l'interaction entre les dessins ou modèles dont les caractéristiques sont imposées par leur fonction technique et ceux qui exigent une forme et des dimensions spécifiques afin de s'adapter à d'autres produits. Elle a également fourni des orientations quant à la possibilité pour un appelant d’introduire de nouveaux arguments en appel, notamment de citer un article de la législation sur les dessins ou modèles communautaires qui, autrement, n'aurait pas été pris en compte.
Les dessins ou modèles communautaires devant l'EUIPO sont régis par le Règlement de mise en œuvre des dessins ou modèles communautaires, n° 6/2002. En vertu de l'article 8, paragraphe 1, de ce règlement : Un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l'apparence d'un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique. En outre, en vertu du paragraphe 2 : Un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l'apparence d'un produit qui doivent nécessairement être reproduites dans leur forme et leurs dimensions exactes pour que le produit dans lequel est incorporé ou auquel est appliqué le dessin ou modèle puisse mécaniquement être raccordé à un autre produit, être placé à l'intérieur ou autour d'un autre produit, ou être mis en contact avec un autre produit, de manière que chaque produit puisse remplir sa fonction. Bien que relativement complexes, ces clauses prévoient surtout que les caractéristiques du dessin ou modèle qui sont essentielles à une fonction technique, ou nécessaires pour permettre au produit de s'adapter à un autre produit, ne relèvent pas de la protection. Par conséquent, si toutes les caractéristiques du dessin ou modèle sont uniquement imposées par la fonction technique du produit, et/ou si elles sont toutes simplement destinées à permettre au produit de s'adapter à un autre produit, l'étendue de la protection est effectivement annulée et l'enregistrement n’est pas valide au titre du modèle.
Dans la décision ayant fait l’objet d’un appel pour cette affaire, la chambre de recours de l'EUIPO avait identifié les caractéristiques suivantes comme étant celles qui déterminaient l'apparence du bloc de construction : (i) la rangée de plots sur la face supérieure de la brique ; (ii) la rangée de petits cercles sur la face inférieure de la brique ; (iii) les deux rangées de grands cercles sur la face inférieure de la brique ; (iv) la forme rectangulaire de la brique ; (v) l'épaisseur des parois de la brique ; et (vi) la forme cylindrique des plots. Selon elle, toutes ces caractéristiques de conception étaient exclusivement imposées par leur fonction technique car elles permettaient l'assemblage de la brique avec d'autres briques de l'ensemble et le démontage ultérieur de cet ensemble. Par conséquent, elle a estimé que la protection au titre du dessin ou modèle enregistré était annulée.
Toutefois, la chambre de recours n’avait pas pris en considération l'exception relevant de la clause ci-dessus en vertu de l'article 8, paragraphe 3, du règlement, selon laquelle : [...] un dessin ou modèle communautaire confère des droits sur un dessin ou modèle [...] qui a pour objet de permettre l'assemblage ou la connexion multiple de produits interchangeables à l'intérieur d'un système modulaire.
Dans son recours devant le tribunal de l'Union européenne, Lego a fait valoir que la chambre de recours avait commis une erreur dans l'application de l'article 8, paragraphes 1 et 2, notamment que les aspects créatifs du dessin ou modèle avaient été ignorés et que la liste des caractéristiques de celui-ci, telle que la chambre de recours l’avait utilisée à l'EUIPO, n'était ni approuvée ni complète. Lego a également fait valoir que l'exception de l'article 8, paragraphe 3, devait s'appliquer.
Cette exception étant soulevée pour la première fois, il fallait réaliser un examen attentif pour déterminer si l'argument était « hors délai ». En effet, il est d'usage que de nouveaux faits ou éléments de preuve ne puissent être introduits devant le tribunal à un stade aussi avancé de la procédure. Toutefois, comme l'a fait valoir l'avocat de Lego, l'exception prévue à l'article 8, paragraphe 3, ne constitue ni un fait nouveau ni une nouvelle preuve, mais fait partie intégrante du règlement de mise en œuvre applicable aux dessins ou modèles communautaires et, à ce titre, peut être invoquée pour la première fois à ce stade avancé de la procédure. Le tribunal s'est rangé à cet avis et a estimé que l'article 8, paragraphe 3, pouvait être examiné dans le cadre de cette nouvelle procédure de recours.
Il a ensuite examiné l'application des articles 8, paragraphes 1 et 2, et les caractéristiques qui définissent le dessin ou modèle. À cet égard, une caractéristique supplémentaire a été examinée, à savoir la surface lisse des deux côtés de la rangée de quatre plots sur la face supérieure, considérée comme l'un des aspects créatifs du dessin ou modèle.
L'EUIPO a fait valoir que l'absence de plots (qui donne lieu à la surface lisse) est une caractéristique technique. À son sens, l'absence de plots permettrait à deux briques de pivoter lorsqu'elles sont reliées par une seule pastille à la fin de la rangée, permettant ainsi de former une courbe. Ils ont également considéré que l'absence de plots latéraux permettait de construire des marches qui ne sont pas obstruées par les plots. Il convient toutefois de rappeler que la simple technicité d'une caractéristique ne suffit pas à la faire sortir du champ de la protection. Il faut au contraire que les caractéristiques de l'apparence d'un produit soient exclusivement imposées par sa fonction technique pour qu'elles soient exclues du champ de la protection.
Il a également été relevé que la décision en cause n'a pas pris en considération cette caractéristique supplémentaire du dessin ou modèle, alors qu'il s'agit d'une caractéristique de l'apparence du produit.
Par conséquent, il a été décidé que la décision de la chambre de recours devant l'EUIPO n'a pas identifié toutes les caractéristiques de l'apparence du produit concerné par le dessin ou modèle contesté et qu'elle n'a donc pas établi que toutes les caractéristiques de l'apparence étaient exclusivement imposées par sa fonction technique. À ce titre, le recours a été favorablement accueilli et la décision de révocation du dessin ou modèle a été annulée.
Cela a mis fin à la procédure. Ainsi, le tribunal n'a pas eu à poursuivre l'examen de la pertinence de l'article 8, paragraphe 3, quant au caractère enregistrable des caractéristiques du dessin ou modèle, même si, comme indiqué ci-dessus, il a confirmé qu'il était possible de le faire car il ne s'agissait pas d'un fait ou d'une preuve déposée tardivement, mais d'une partie essentielle du règlement applicable.
Il est regrettable que la pertinence absolue de l'article 8, paragraphe 3, n'ait pas été examinée dans cette affaire, mais il est satisfaisant de constater que les tribunaux reconnaissent l'importance à prendre en compte toutes les caractéristiques d'un dessin ou modèle lorsqu'ils évaluent la validité d'un dessin ou modèle technique. Après tout, de nombreux dessins ou modèles peuvent présenter des caractéristiques qui ont une fonction technique, mais cela ne signifie pas qu'ils tomberont nécessairement sous le coup de l'article 8, paragraphe 1 ou 2, du règlement. En effet, si les caractéristiques du dessin ou modèle sont également sélectionnées pour des raisons esthétiques, il y a tout lieu de penser que le dessin ou modèle peut être valablement enregistré en Europe, à condition qu'il soit nouveau !