Résumé
Dans cette décision de la Cour d'appel, celle-ci a estimé : (i) que l'intelligence artificielle n'est pas une personne et ne peut pas être un inventeur en vertu de la Loi sur les brevets de 1977 et; (ii) que (le juge Birss a une opinion divergente) le Dr Thaler n'a pas respecté les obligations de l'article 13(2)(a) (identifiant une personne comme inventeur) et de l'article 13(2)(b) (précisant comment le demandeur a obtenu le droit de se voir accorder un brevet) dans sa demande de brevet lorsqu’il a indiqué que DABUS (une machine d'intelligence artificielle (IA)) était l’inventeur et a revendiqué le droit à un brevet du fait de la propriété de cette IA. Par conséquent, la demande de brevet a été, à juste titre, réputée retirée.
Il est probable qu’un recours sera déposé auprès de la Cour suprême, mais l'acceptation d'un tel recours peut dépendre du statut de la révision législative en cours concernant l'IA et la législation.
Contexte
En 2018, le Dr Thaler a déposé deux demandes de brevet, désignant DABUS comme l'inventeur. Dans sa demande initiale, il a indiqué que son droit à l'octroi du brevet découle de « la propriété de la machine créative DABUS » et, dans une modification postérieure, a précisé que « le demandeur n'a pas identifié une ou plusieurs personnes qu'il croit être l’inventeur, car l'invention a été entièrement et uniquement conçue par DABUS ».
Le contrôleur a estimé que le Dr Thaler ne s'était pas conformé à l'article 13(2) de la Loi sur les brevets de 1977 (Patents Act - PA 1977) car il a omis : (i) d'identifier la personne estimée être l'inventeur (DABUS n'était pas une personne et ne pouvait donc pas être un inventeur), comme l'exige l'article 13(2)(a) ; et (ii) d'indiquer de manière adéquate d'où il tirait son droit au brevet, comme l'exige l'article 13(2)(b). Cette décision a fait l'objet d'un appel devant la Haute Cour et a été rejetée par le juge Marcus Smith ([2020] EWHC 2412 (Pat)) au motif que : (i) DABUS ne pouvait pas être un inventeur parce qu'il n'était pas une personne ; (ii) le Dr Thaler n'avait pas établi un droit à se voir accorder le brevet; et (iii) par conséquent, le contrôleur a eu raison de conclure que les demandes étaient réputées retirées en vertu de l'article 13(2).
Appel
Cet arrêt concerne le nouvel appel du Dr Thaler devant la Cour d'appel. Les principales questions posées étaient les suivantes :
- La loi de 1977 exigeait-elle qu'un inventeur soit une personne ?;
- Le Dr Thaler avait-il le droit de demander et d'obtenir un brevet et quel était l’effet de l'article 13(2) de la Loi sur les brevets de 1977 ?
- Le contrôleur avait-il raison de conclure que la demande était réputée retirée en vertu de l'article 13(2) ?
Les juges chargés de la présidence (M. Birss, Mme Laing et M. Arnold) se sont entendus sur la première question : La Loi sur les brevets de 1977 exige qu'un inventeur soit une personne et, par conséquent, DABUS, une machine d'IA, ne peut être un inventeur.
La deuxième question portait sur deux parties distinctes. La première consistait à déterminer si le Dr Thaler avait le droit de demander (et de se voir accorder) un brevet en vertu de l'article 7 de la Loi sur les brevets de 1977. L'article 7 prévoit que si « toute personne » peut demander un brevet (art. 7(1)), un brevet ne peut être accordé à un ou plusieurs inventeurs ou à d'autres personnes que dans les circonstances prévues à l'article 7(2). La deuxième partie concerne l'effet de l'article 13(2), qui exige que le demandeur identifie la ou les personnes qu'il croit être l'inventeur (article 13(2)(a)) et, si le demandeur n'est pas l'inventeur, qu'il indique l'origine de son droit à la délivrance du brevet (article 13(2)(b)). La conséquence du manquement à l'article 13(2) est le retrait présumé de la demande de brevet (la troisième question).
Les juges étaient en désaccord quant aux deuxième et troisième questions.
Juge Arnold
Le juge Arnold a d'abord examiné si le Dr Thaler avait le droit de demander et d'obtenir un brevet en vertu de l'article 7. Étant donné que M. Thaler a reconnu qu'il n'était pas l'inventeur (article 7(2)a)) ni un ayant droit (article 7(2)c)), le juge Arnold s'est concentré sur la question de savoir si M. Thaler avait le droit de se voir accorder le brevet en vertu d'une règle de droit (article 7(2)b)), à savoir par possession exclusive du fait qu'il était propriétaire de DABUS. Le juge Arnold a indiqué que « une invention est un élément d'information » : les inventions créées par le système DABUS étaient de nouveaux éléments incorporels produits par le bien corporel du Dr Thaler (DABUS). Le juge Arnold a conclu que la loi de la possession exclusive ne s'appliquait pas parce qu'il n'existe aucune règle de droit selon laquelle un nouveau bien incorporel produit par un bien corporel existant est la propriété du propriétaire du bien corporel. Il a poursuivi en disant qu'il n'y a « aucune règle selon laquelle la propriété envisagée par l'article 7(2)(b) dans une invention créée par une machine est la propriété du propriétaire de la machine » et que le Dr Thaler n'avait donc pas le droit de se voir accorder un brevet.
Le juge Arnold a également examiné l'effet de l'article 13(2) et le rôle du contrôleur. En référence à la demande de Nippon Piston Ring Co's [1987] RPC 120, le juge Arnold a déclaré que le rôle du contrôleur en vertu de l'article 13 est de « vérifier si les déclarations prescrites ont été déposées à temps et, dans l'affirmative, si les déclarations déposées semblent conformes aux exigences légales ou sont déficientes de prime abord ». Il a conclu que le Dr Thaler n'a pas identifié la personne qu'il croyait être l'inventeur et qu'il a plutôt « délibérément identifié une non personne en tant qu'inventeur », ce que le juge Arnold a décrit comme « une impossibilité juridique ». Il a également conclu que M. Thaler n'a pas indiqué comment il avait obtenu le droit qu'il prétendait avoir de se voir accorder un brevet, se contentant d'affirmer qu'il suffisait qu'il soit propriétaire de DABUS. Le juge Arnold a estimé que cette affirmation était irrecevable en droit (pour les raisons exposées ci-dessus).
Par conséquent, sur la question finale, le juge Arnold a conclu que le contrôleur avait raison de considérer que la demande était réputée retirée en vertu de l'article 13(2).
Juge Laing
La juge Laing a analysé à la fois la question de savoir si le Dr Thaler avait le droit de demander et d'obtenir un brevet en vertu de l'article 7 et l’effet de l'article 13(2) de la Loi de 1977 sur les brevets. Selon elle, l'article 7 est la seule disposition de la Loi de 1977 qui confère le droit de demander un brevet. Elle a indiqué que « dans son interprétation correcte, il ne permet pas de délivrer un brevet lorsque l'inventeur n'est pas une personne ». Elle a souligné que « l'effet de l'article 7(2)(a) est que l'inventeur doit être une personne. Seule une personne peut conclure, avant la réalisation de l'invention, un accord exécutoire par lequel elle a droit à la totalité de la propriété de l'invention (autre que les intérêts moraux). Un tel accord ne peut être conclu qu'avec une autre personne. Seule une personne peut avoir un ayant droit (article 7(2)(c)). Il s'ensuit qu'en l'absence d'une disposition légale de présomption, il n'est tout simplement pas possible, en droit, que Dabus soit un « inventeur » aux fins de l'article 7 ». Elle était également d'accord avec le juge Arnold quant au fait que le Dr Thaler ne pouvait pas être habilité par une autre règle de droit.
Sur cette base, la juge Laing a abordé la question de savoir si le Dr Thaler avait respecté les obligations prévues à l'article 13(2). Elle a conclu que non parce que le Dr Thaler « a affirmé positivement que l'inventeur [n'était] pas une personne », qu’il ne s'est donc pas conformé à l'article 13(2)(a) et n'a fourni aucun fondement permettant d’obtenir un droit, comme l'exige l'article 13(2)(b). Par conséquent, le contrôleur a eu raison de considérer la demande réputée retirée.
Juge Birss (d’opinion divergente)
Lorsqu’il a analysé si le Dr Thaler avait le droit de demander et d'obtenir un brevet en vertu de l'article 7, le juge Birss a laissé entendre que la position de départ était que le Dr Thaler (en tant que demandeur) avait un droit présumé. Il a expliqué que l'article 7(4) prévoit la présomption selon laquelle la personne effectuant la demande doit être considérée comme la personne ayant le droit de se voir accorder un brevet et qu'il doit être interprété comme s'appliquant « sauf dans la mesure où le contraire est établi dans une procédure constituée à cette fin dans la présente loi, c'est-à-dire dans une procédure en vertu des article 8 et 37 [procédure sur le droit] ». Sur la base de cette présomption, il a suggéré que, même si le Dr Thaler ne pouvait pas demander le brevet en vertu de l'article 7(2)(a) (en tant qu'inventeur principal ou co-inventeur) ou de l'article 7(2)(c) (en tant qu'ayant droit), car tous deux impliquent un transfert de droits, il pouvait le faire en vertu de l'article 7(2)(b) en tant que premier titulaire du droit (dès que le brevet existe), comme un employeur pour les inventions de ses employés.
Sur la question de l'effet de l'article 13(2) et du rôle du contrôleur, le juge Birss s'est référé aux antécédents juridiques (il est remonté jusqu’au Statut des monopoles de 1623) et a suggéré que l'objectif de l'article 13(2) est de fournir des informations à rendre publiques. Le juge Birss a expliqué que la Loi de 1977 ne confère pas au contrôleur le pouvoir de déterminer qui a le droit de se voir accorder un brevet et qu'il n'était donc pas en mesure d'évaluer si la demande de dérivation du Dr Thaler était adéquate. Il a indiqué que la conséquence du manquement à l'article 13(2) était le retrait présumé de la demande. Il a expliqué que cela n'était pas compatible avec l'idée que le contrôleur prenne des décisions sur le bien-fondé du droit des demandeurs.
En ce qui concerne l'obligation d'identifier l'inventeur, le juge Birss a interprété l'article 13(2) comme signifiant que les erreurs de bonne foi dans l'identification du ou des inventeur(s) ou de la dérivation ne devraient pas empêcher les demandeurs d'obtenir des brevets ou exposer les brevets à la révocation. Il a précisé que « la seule chose requise en ce qui concerne l'inventeur est que le demandeur doit identifier qui il croit être l'inventeur ». Il a expliqué qu'une demande ne serait vraisemblablement pas lésée si, de bonne foi, un demandeur n'était pas en mesure d'identifier l'inventeur. Son raisonnement était que si le « contrôleur était convaincu que ce que le demandeur avait fourni était sa croyance sincère, alors il [lui] semble que l'article 13(2)(a) a été respecté. Il n'y a aucune raison d'interpréter l'article comme imposant une obligation plus élevée à un demandeur que celle de déclarer sa croyance sincère quant à l'identité de l'inventeur ». Il a conclu qu'en indiquant DABUS comme inventeur selon sa croyance sincère, le Dr Thaler s'est conformé à l'article 13(2)(a).
En ce qui concerne l'article 13(2)(b), le juge Birss a conclu, à partir de ses conclusions sur l'article 7(2)(b), qu'en mentionnant sa propriété de DABUS comme fondement de son droit au brevet, le Dr Thaler a satisfait à cette exigence.
Compte tenu du raisonnement ci-dessus, le juge Birss a conclu que le Dr Thaler s'était conformé à l'article 13(2)(b) et que le contrôleur avait eu tort de considérer la demande réputée retirée.
Commentaire
Ce jugement réaffirme qu'un système d'IA ne peut être un inventeur : la loi actuelle exige que tout inventeur soit une « personne », ce que l'IA n'est pas. Pour qu'un système d'IA puisse un jour être inscrit au titre d’inventeur sur un brevet, et pour que son opérateur puisse demander un tel brevet, il faudrait introduire des modifications législatives, à moins que la Cour suprême n’annule la conclusion de la Cour d'appel selon laquelle un inventeur doit être une « personne », ce qui semble peu probable (cette décision a été prise à l'unanimité).
La question la plus intéressante, et sans doute non résolue à la lumière des décisions opposées des juges Birss et Arnold, est de savoir si le Dr Thaler s'est conformé aux exigences de l'article 13(2). Il s'agit d'une question complexe d'interprétation de la loi sur laquelle deux juges spécialisés en brevets (les juges Arnold et Birss) ont adopté des points de vue opposés. On peut faire valoir qu'il est injuste qu'un demandeur qui se conforme à l'accord sur les brevets soit privé de protection en raison d'une formalité. En effet, la conséquence pourrait être que les propriétaires d'IA gardent leurs inventions secrètes et cherchent à se prévaloir de la défense d’utilisation antérieure de l'article 64 si un brevet couvrant l'invention est délivré ultérieurement. L’autre possibilité est que les résultats de l'IA, s'ils sont déversés dans le vaste réservoir public d'Internet, deviennent une source d'art antérieur qui invalidera les contributions inventives (postérieures, peut-être indépendantes) de personnes réelles.
La suggestion du juge Birss, selon laquelle l'obligation de mentionner un inventeur est satisfaite si le demandeur a une « croyance sincère » quant à la personne qu'il cite en tant qu'inventeur, est une manière intéressante de résoudre le problème sans entreprendre une révision législative à grande échelle. Il la justifie par la comparaison avec les inventions des employés (bien que ne s’inscrivant pas dans un régime législatif comparable), qui permet de conclure que le droit de demander un brevet pour une invention créée par l'IA pourrait se faire aux termes de l'article 7(2)(b) et de son interprétation, selon laquelle la Loi de 1977 ne donne pas au contrôleur le pouvoir de déterminer la question de savoir qui a le droit de se voir accorder un brevet (et qu'il n'est donc pas en mesure d'évaluer la pertinence de la dérivation indiquée par le Dr Thaler d'un droit de demander un brevet).
Cette question peut faire l'objet d'un appel devant la Cour suprême et pourrait évoluer dans un sens ou dans l'autre. Toutefois, compte tenu de l'examen en cours des questions relatives à l'IA par l'UKIPO, il semble plus probable que le changement se fera sous la forme de révisions de la législation.
Enfin, bien que n’étant pas le sujet central de cette décision, il est également intéressant de constater que les juges Birss et Arnold ont tous deux admis qu’il existe une tension entre les inventions d’IA et le test de l'activité inventive. Le juge Birss a noté « qu’il existe à présent une catégorie d'inventions potentiellement brevetables qui peuvent être créées sans inventeur humain, mais cela ne signifie pas que [la norme objective d'une personne fictive qualifiée dans l'art] ne pourrait pas être appliquée pour déterminer si l'invention satisfait au test [de l'activité inventive] ». Cela soulève la question de savoir si, à l'avenir, l’équipe d'experts pourrait être considérée comme incluant des experts fictifs qui ont accès aux résultats de l'IA.
La prise en compte de l’intelligence artificielle par le tribunal dans le cadre des affaires de brevets n'en est qu'à ses débuts. Il reste à voir comment le tribunal abordera la pléthore de questions à venir. Indépendamment du fait que DABUS ait été ou non le concepteur d'inventions brevetables, ce jugement a mis en évidence le fait que le cadre juridique actuel ne prévoit pas la possibilité qu'un système d'IA puisse être capable d'inventer. Il convient donc d’attendre une révision législative sur ce point.