La Grande Chambre de recours de l'OEB a été saisie de questions relatives au droit de priorité dans les recours conjoints T1513/17 et T2719/19. La première question porte sur la compétence de l'OEB en matière d'examen du droit de priorité. Curieusement, les motifs formulés par la Chambre de recours technique indiquent qu'AstraZeneca, Novartis et Roche ont tous trois cherché à s'assurer que la Grande Chambre de recours examine la question de la compétence, car toutes les parties se sont prononcées en faveur d'un renvoi de cette question. Si la Grande Chambre de recours décide de se déclarer compétente, elle devra alors se prononcer sur l'approche des « codemandeurs dans le cadre du PCT » (Traité de coopération en matière de brevets). Cela présente un intérêt tout particulier pour les demandeurs qui revendiquent la priorité des demandes américaines.
Cette saisine s'explique par le fait que le droit de priorité est une question formelle de toute importance, susceptible de faire dérailler les stratégies de dépôt des brevets européens. Nous sommes souvent amenés à conseiller à nos clients de s'assurer que tout transfert de droits de priorité est correctement traité, au bon moment et entre les parties adéquates. À défaut, la perte des droits de priorité est en jeu, ce qui peut avoir des conséquences néfastes s'il existe entre-temps une technique pertinente. Le renvoi à la Grande Chambre de recours, procédure attendue avec impatience, permettra de clarifier les exigences formelles.
Le contexte est le suivant : Alexion Pharmaceuticals (qui fait à présent partie d'AstraZeneca) a adopté l'approche américaine commune consistant à déposer une demande provisoire américaine au nom d'un inventeur, mais a ensuite déposé une demande PCT en son propre nom, sans transférer formellement le droit de revendiquer la priorité de l'inventeur à Alexion. AstraZeneca/Alexion fait valoir que sa revendication de priorité repose sur le fait que l'inventeur était un demandeur (pour les États-Unis uniquement) figurant sur la demande PCT, approche dite des codemandeurs dans le cadre du PCT.
Les trois parties (le breveté et les deux opposants, Novartis et Roche) ont fait valoir devant la Chambre de recours technique la nécessité d’un renvoi à la Grande Chambre de recours. Tout autant Novartis (O1) qu’AstraZeneca/Alexion sont allés jusqu'à proposer des questions visant à tester l'étendue de la compétence de l'OEB en matière de contestations du droit de priorité. Roche (O2) était d'accord quant à cette approche. La décision de renvoi de la Chambre de recours technique reconnaît que la « question de la compétence » a été soulevée dans un certain nombre d'affaires et accepte l'argument selon lequel il sera judicieux de soulever le point auprès de la Grande Chambre de recours si un renvoi sur une question connexe est également approprié. La Chambre de recours technique a donc posé la question suivante :
La CBE confère-t-elle une compétence à l'OEB lui permettant de déterminer si une partie peut valablement revendiquer qu’elle est un ayant droit au sens de l'article 87(1)(b) CBE ?
En ce qui concerne la question de fond qui se pose dans cette affaire, il est intéressant de signaler que le procès-verbal de l'audience suggère que c'est l’organe juridique de la Chambre de recours technique qui a fourni un raisonnement venant appuyer l'approche des codemandeurs dans le cadre du PCT. En référence à une décision de la Cour d'appel néerlandaise de La Haye, il a été proposé que le droit à la priorité soit évalué sur la base de la lex loci protectionis (loi du lieu où la protection est revendiquée), c'est-à-dire la CBE, dans ce cas. Cependant, la CBE n’inclut aucune disposition définissant les exigences ou les formalités pour le transfert des droits de priorité, de sorte que la preuve d'un accord informel pourrait suffire. Ainsi, le dépôt mutuel d'une demande PCT pourrait être considéré comme la preuve d'un accord implicite pour transférer la revendication de priorité.
Par conséquent, si la Grande Chambre de recours conclut qu'il existe une base juridictionnelle suffisante dans la CBE permettant à l'OEB de traiter ces questions, la Chambre de recours technique demande alors à la Grande Chambre de recours d’analyser la question suivante :
Une partie B peut-elle valablement se fonder sur le droit de priorité revendiqué dans une demande PCT aux fins de revendiquer des droits de priorité en vertu de l'article 87(1) CBE dans le cas où :
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- une demande PCT désigne la partie A comme demandeur pour les États-Unis seulement et la partie B comme demandeur pour d'autres états désignés, y compris la protection par brevet européen régional, et ;
- la demande PCT revendique la priorité d'une demande de brevet antérieure qui désigne la partie A comme demandeur, et ;
- la priorité revendiquée dans la demande PCT est conforme à l'article 4 de la Convention de Paris ?
La décision de la Grande Chambre de recours sera lue avec impatience par les juristes et les demandeurs dont les demandes de brevet posent des problèmes de priorité légale. C'est peut-être la fin du manège de la priorité légale à l'OEB (si la Grande Chambre de recours estime qu'il n'y a pas de base juridictionnelle) ou, tout au moins, il semble y avoir une probabilité raisonnable pour que l'approche des codemandeurs dans le cadre du PCT soit favorisée et que ceux se trouvant dans une position similaire à celle d'Alexion aient une base solide pour revendiquer la priorité. Certaines questions subsistent sur les affaires en cours concernant des problèmes de priorité légale et c’est donc une affaire à suivre en 2022 (ou, compte tenu des délais de l'OEB, probablement en 2023, 2024 ou 2025).