Décidément, l’intelligence artificielle (IA) ne cesse de remettre en cause nos certitudes en matière de droit des brevets, quitte à nous extraire de la torpeur de l’été. Le dernier coup d’éclat dans ce domaine provient du Docteur Stephen Thaler(1) qui cherche à faire reconnaître depuis quelques années la qualité d’inventeur pour une IA.
Le Dr. Thaler est l’heureux déposant d’une demande PCT(2) portant à la fois sur un conteneur alimentaire et sur un dispositif pour attirer l’attention, inventions qui, selon ses dires, ont été réalisées par l’IA DABUS (pour « Device for the Autonomous Bootstrapping of Unified Sentience » que l’on pourrait traduire littéralement par « Dispositif pour l’Amorçage Autonome de la Sensibilité Unifiée »). DABUS serait ainsi capable d’apprécier ses créations par des règles d’apprentissage propres lui permettant des réponses affectives proches de celles d’un être humain.
La demande PCT du Dr. Thaler a été largement étendue, notamment auprès de l’Office Européen des Brevets, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Australie et en Afrique du Sud avec des conclusions différentes en matière d’appréciation de la qualité d’inventeur.
C’est ainsi qu’en Europe, l’approche développée pour répondre à cette question est une approche traditionnelle(3). L’inventeur est un être humain : il s’agit de la personne dont la créativité a donné naissance à une invention. En outre, cet inventeur doit avoir la personnalité juridique afin d’exercer ses droits à l’invention. Or aujourd’hui, l’IA n’a aucun droit. Elle est juste considérée comme une machine. Il s’ensuit qu’une demande de brevet avec une IA mentionnée comme inventeur est rejetée et sa production ne bénéficie pas alors de la protection offerte par le droit des brevets. Cette approche est également partagée par l’USPTO(4). La seule solution pour obtenir une protection par brevet resterait d’indiquer une personne physique à la place de la machine, comme le chercheur ou le groupe de chercheurs ayant fait fonctionner l’IA en vue de réaliser l’invention. Ce qui, pour les partisans d’une IA inventrice, ne correspondrait pas à la réalité du processus innovant.
Cette approche rigoriste a été quelque peu remise en cause récemment par des décisions en Afrique du Sud puis en Australie(5). Cette dernière décision a notamment reconnu la possibilité pour une IA d’être indiquée comme inventeur dans une demande PCT désignant l’Australie. La question qui sous-tend ici est alors l’opportunité de reconnaître la capacité de création à une machine préalablement créée par l’Homme.
Bien que susceptibles d’appels, ces décisions interrogent car elles ouvrent la possibilité de dérives, telles que le dépôt en masse de brevets issus d’Intelligence Artificielle ou la non attribution de rémunérations supplémentaires à des salariés, considérés au final comme non inventeurs par leur employeur, car aidés dans leurs travaux par une IA. Ces décisions ont cependant le mérite de poser les premiers jalons d’une redéfinition du statut de l’IA en matière d’invention. S’il s’avère qu’une IA puisse à terme obtenir la reconnaissance d’un statut d’inventeur, il restera cependant de nombreuses questions à résoudre sur le fond pour l’appréciation de l’activité inventive, notamment la définition de l’Homme du métier (un humain ou une autre IA) ou la définition de l’évidence pour une machine.
(1) https://imagination-engines.com/founder.html
(2) WO2020/079499
(3) https://www.epo.org/news-events/in-focus/ict/artificial-intelligence_fr.html
(4) https://www.uspto.gov/sites/default/files/documents/16524350_22apr2020.pdf?utm_campaign=subscriptioncenter&utm_content=&utm_medium=email&utm_name=&utm_source=govdelivery&utm_term=
(5) https://www.judgments.fedcourt.gov.au/judgments/Judgments/fca/single/2021/2021fca0879